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Titel
L’ombre de César. Les chirurgiens et la construction du système hospitalier vaudois (1840-1960)


Autor(en)
Donzé, Pierre-Yves
Erschienen
Lausanne 2007: Bibliothèque d’histoire de la médecine et de la santé
Anzahl Seiten
369 p.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Philip Rieder

Les établissements hospitaliers connaissent un succès certain parmi les historiens de la médecine qu’il s’agisse pour eux de rendre compte du passé d’une institution locale ou, plus ambitieusement, de prolonger le sillon tracé par Michel Foucault et de participer à la reconstitution du rôle historique de ces «machines à guérir». Le livre de Pierre-Yves Donzé ne rentre dans aucune de ces catégories. L’ouvrage s’appuie sur une étude approfondie de l’Hôpital cantonal lausannois et des hôpitaux régionaux du canton de Vaud, réunissant une foule d’informations sur ces établissements comprenant la date et les modalités de leur fondation, les étapes de leur rénovation ou des informations sur les personnalités actives dans leur gestion médicale ou administrative. L’ensemble de ce matériel est exploité par Donzé dans un effort de modélisation par lequel il cherche à cerner la dynamique propre au système hospitalier dans son ensemble. La problématique qui occupe l’auteur concerne le processus de modernisation du réseau hospitalier vaudois qui passe, dans le cadre chronologique choisi, d’une série d’institutions au caractère philanthropique prononcé à un système de santé rationnel et performant, largement contrôlé par les pouvoirs publics. L’intérêt de l’infrastructure hospitalière vaudoise réside dans sa diversité: le territoire cantonal est relativement restreint, mais comprend à la fois des communautés rurales et des communautés urbaines, soit des hôpitaux urbains et des hôpitaux ruraux. Si on ajoute à ces caractéristiques l’autonomie dont disposent en Suisse les cantons dans la politique régissant l’infrastructure hospitalière, on voit bien que le champ choisi par Donzé constitue un laboratoire où observer l’évolution du système hospitalier, où analyser les enjeux économiques, administratifs ainsi que politiques, et où mettre en valeur le rôle des individus et des instances actifs dans le développement du système hospitalier moderne. Le modèle vaudois constitue ainsi un modèle complet, selon Pierre-Yves Donzé, spécialiste de l’histoire des hôpitaux romands (voir sa synthèse: Bâtir, gérer, soigner. Histoire des établissements hospitaliers de Suisse romande). Le processus décrit dans l’ouvrage répond, pour Donzé, à un processus complexe de rationalisation (architectural, gestionnaire, médical et économique) qui s’articule autour des agissements d’une génération de chirurgiens qu’il désigne comme, l’appellation est évocatrice, des «chirurgiens modernisateurs».

Le titre de l’ouvrage renvoie ainsi à la thèse centrale du livre. Une génération de chirurgiens aurait joué un rôle dynamique, voire un rôle catalyseur, dans la transformation des institutions hospitalières vaudoises au XXe siècle. César Roux (1857–1934), chirurgien célèbre, professeur de chirurgie à l’Université de Lausanne et introducteur de méthodes chirurgicales allemandes dans le canton de Vaud, serait à la fois le modèle professionnel et le formateur de cette élite chirurgicale. Un chapitre de l’ouvrage s’emploie à démontrer que la figure et l’enseignement de César Roux confèrent une cohérence au groupe des «chirurgiens modernisateurs». Une analyse prosopographique permet à Donzé de démontrer quel fut le rôle joué par ces hommes dans la réforme d’infirmeries rurales dans les premières décennies du XXe siècle. D’autres chapitres sont consacrés aux institutions hospitalières, notamment l’Hôpital cantonal de Lausanne dont la place centrale dans le système hospitalier est évidente. Les premières décennies du XXe siècle voient de nouveaux services médicaux, des services d’analyse (laboratoire) et des cabinets de radiologie, générer de nouvelles recettes hospitalières et, indirectement, une nouvelle clientèle. Ces innovations touchent d’abord l’Hôpital cantonal, mais intéressent également des hôpitaux privés. Certains d’entre eux (Asile des aveugles, le Dispensaire, l’Hospice de l’enfance) contribuent à forger une des principales originalités du système vaudois en collaborant avec les institutions publiques pour assurer aussi bien des soins que l’enseignement à la Faculté de médecine. Le système médical vaudois repose, dès la fin du XIXe siècle, sur la complémentarité des institutions publiques et privées.

Une démonstration importante faite par Donzé est la corrélation systématique entre l’arrivée d’un chirurgien formé à l’école de Roux dans un hôpital philanthropique rural (infirmerie) et une transformation de la nature de la prise en charge de cette institution, menant à terme à sa réforme architecturale et administrative. L’évolution constitue une véritable crise dans le monde des infirmeries philanthropiques. Les modalités de financements caritatifs, notamment les «ventes», ne peuvent suffire à satisfaire aux nouveaux besoins nécessitant des investissements importants et, surtout, un budget annuel conséquent pour assurer les salaires des chirurgiens désormais à la fois plus actifs dans le fonctionnement quotidien de ces institutions. Deux solutions principales vont être trouvées: l’attraction de clientèles nouvelles, des patients payants, et le subventionnement étatique. La dynamique médicale et hospitalière ne saurait se réduire à la seule activité d’une poignée d’hommes. L’évolution des institutions (les hôpitaux et les infirmeries) et des autres acteurs (les philanthropes, l’Etat et les assurances) sont également actifs. Donzé retrace les spécificités du système hospitalier vaudois, insistant sur la nature à la fois rurale et urbaine du réseau et sur la complémentarité des dynamiques étatiques et privées qui y sont à l’oeuvre. Avec force exemples et quantité de chiffres, il parvient à reconstruire la genèse du système hospitalier vaudois en accordant une importance particulière au rôle des hôpitaux ruraux qui, regroupés en association (le Groupement des Hôpitaux régionaux vaudois), parviennent à négocier avec l’Etat et à contrebalancer l’ambition centralisatrice de l’Hôpital cantonal et des professeurs de la Faculté.

L’ouvrage de Donzé s’inscrit dans un courant historiographique fort qui tend à replacer l’histoire de la médecine dans son contexte (économique, politique et culturel), et à remettre en cause le déterminisme simpliste qui habite l’histoire traditionnelle où les découvertes médicales tendent à être présentées comme le seul moteur du changement. Il s’agit donc d’inventer un nouveau système interprétatif. Celui de Donzé est basé sur la multiplication des angles d’approches issues de courants historiques complémentaires: l’histoire sociale de la médecine, l’histoire des hôpitaux, l’histoire sociale des technologies, mais aussi les histoires des médicaments, des équipements médicaux et du tourisme (médical). Il parvient ainsi à montrer les liens existants entre le développement de nouvelles pratiques chirurgicales, la production et la commercialisation de nouveaux produits médicaux, la transformation des besoins en équipements médicaux des hôpitaux et le développement particulier de la clientèle, notamment celle qui afflue dans la région pour bénéficier du bon air des rives du lac Léman. Cette problématique complexe engage Donzé à penser l’histoire du système hospitalier comme le passage d’un système technique médical à un autre, en l’occurrence d’un système technique artisanal (XIXe siècle) vers un système technique industriel (XXe siècle). Les hôpitaux sont ainsi dépeints comme des «unités de production de soins». Ce faisant, l’auteur met en évidence le rôle joué par une grande variété d’influences, d’acteurs et d’objectifs distincts. L’école médicale allemande à laquelle Roux fut formée exerce une influence de toute évidence fondamentale. D’autres variables comprennent des associations d’hôpitaux privés, des diaconesses, des personnalités médicales comme les professeurs de médecine ou encore des spécialistes de la santé publique qui vont déterminer les contours du système médical dans la deuxième moitié du XXe siècle. Le modèle proposé par Donzé illustre l’importance dans la genèse de systèmes médicaux à la fois de la tradition (la collaboration avec le monde privé), des particularités régionales (le tourisme, la démographie) et de dynamiques originales insufflées par des individus. Il constitue un modèle complet, utile pour aborder la genèse d’autres systèmes médicaux. Le texte est dense, parfois un peu désemparant en raison de répétitions et de la multiplication d’exemples qui distraient le lecteur de l’objectif poursuivi. L’organisation des chapitres en souschapitres courts permet une lecture choisie, centrée sur certaines institutions par exemple. Il est dommage qu’un index des institutions n’ait pas été intégré dans l’ouvrage, voire un indexe des personnes. Tous deux auraient été utiles aux chercheurs intéressés par des personnalités marquantes ou des institutions méconnues que l’ouvrage de Donzé tend à placer sur le devant de la scène.

Citation:
Philip Rieder: Compte rendu de: Pierre-Yves Donzé: L’ombre de César. Les chirurgiens et la construction du système hospitalier vaudois (1840–1960). Lausanne, Bibliothèque d’histoire de la médecine et de la santé, 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 2, 2008, pages 232-234.

Redaktion
Veröffentlicht am
27.01.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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